Latin, grec, des atouts clés pour le traducteur médical

6 Mai 2021

Esculape, chez les romains, Asclépios, chez les grecs, est le dieu de la médecine métamorphosé en serpent par Zeus. Le bâton d’Asclépios, sur lequel s’enroule une couleuvre, est devenu l’emblème de la médecine. Hippocrate, médecin grec le plus connu de l’Antiquité, passe ni plus ni moins pour un descendant du dieu serpent… Or, aujourd’hui encore la médecine reste fidèle au vocabulaire d’Hippocrate. Le Malade Imaginaire, dernière comédie de Molière, fait un portrait savoureux des médecins, qui, il y a quelques siècles encore, parlaient en latin… Là encore, c’est une histoire de traduction : le latin s’impose comme langue médicale à partir de la « traduction » des termes grecs.

Les emprunts au grec et au latin sont omniprésents dans le langage médical. Ils ont traversé l’Histoire et ont été transformés par les époques où ils sont restés les gages d’un langage savant. Que ce soit dans le domaine de l’anatomie, la pathologie, la chirurgie, la pharmacologie, la thérapeutique ou même la botanique, connaître l’étymologie des termes médicaux ne peut être qu’un atout pour le traducteur.

Petite histoire du latin médical comme langage scientifique

Les premières sources écrites de la médecine sont à trouver chez les Grecs, au Ve et IVe siècles avant J.-C., sous la plume d’Hippocrate. Rome importe la médecine de Grèce dont la domination scientifique s’étendit ainsi bien au-delà de la conquête romaine. Les grands noms de la médecine d’alors sont d’ailleurs grecs : Asclépiade, Thessalos, Galien, Dioscoride. À cette époque, le grec est la langue de la médecine.

Il faut attendre le Ier siècle après J.-C. pour qu’un médecin du nom d’Aulus Cornelius Celsus surnommé l’Hippocrate latin, ne rédige la première encyclopédie médicale en latin, De Medicina, dans lequel il latinise certains termes grecs en leur ajoutant une terminaison latine.
Les termes latins ne vont véritablement remplacer la terminologie grecque qu’à la Renaissance. Le corps humain devient un véritable objet de science et donne lieu à de multiples travaux, dont le traité fondateur d’anatomie en langue latine, De humani corporis fabrica de Vésale. Le latin est la langue des érudits.

Sous François Ier, le français est concurrencé par le néolatin (la langue latine à partir de la Renaissance, utilisée dans un but scientifique ou littéraire), mais il commence à s’émanciper de sa tutelle. Ambroise Paré, le « père » de la médecine, jouera le rôle de vulgarisateur en langue française.
Dans les siècles suivants, les travaux et les grandes découvertes médicales sont toujours traduits en latin. Dans les grands pays européens, la langue nationale ne prendra le pas sur le latin que progressivement (notons qu’il faut attendre les années 1980 pour que les médecins britanniques abandonnent le latin au profit de l’anglais sur leurs ordonnances). En France, il faut attendre le Premier Empire pour que l’enseignement médical soit dispensé en français.

L’évolution du vocabulaire médical a été marquée par l’évolution historique de la médecine. Les termes médicaux ont été traduits du grec au latin et du latin au français (sans oublier l’influence des termes arabes). Le langage médical s’est donc construit autour de plusieurs langues. Car conjointement à l’émergence des langues nationales dans la terminologie médicale, l’influence du grec ancien demeure.

La constitution des termes médicaux : le grec, le latin et les emprunts gréco-latin dans le vocabulaire médical… On a de quoi s’y perdre ! Il faut plutôt voir dans la constitution des termes médicaux, un subtil jeu de mécano.

L’importance de l’étymologie

Le mot « étymologie » vient du grec qui signifie « vérité du mot ». L’étymologie est particulièrement importante dans le langage très spécialisé de la médecine. Employer le bon terme médical permet en effet une communication précise.

On l’a vu, la racine des mots est à rechercher dans l’Histoire de l’Antiquité. Le français est une langue romane dérivée du latin. Le français et le latin possèdent le même alphabet. Les mots de notre vocabulaire médical ont donc souvent une racine latine. Certains mots ont une racine grecque. L’alphabet grec étant différent du nôtre, il a fallu adapter voire modifier certains mots pour obtenir un équivalent français. Certains mots du langage médical ont d’autres origines que le grec ou le latin. Mais ces deux racines latine et grecques sont très présentes et sont à l’origine de nombreux termes. Ainsi les racines latine medicus et grecque iatros signifient toutes deux « médecin ». La racine latine medicus se retrouve dans les mots médecin, médecine, médical, médicament, médicinal ou encore remède. La racine grec iatros dans les noms de médecins et de leur spécialité comme pédiatre et pédiatrie, psychiatre et psychiatrie, gériatre et gériatrie.

Radical, préfixe et suffixe

Les termes médicaux sont essentiellement composés d’un radical, qui peut être associé à un préfixe ou à un suffixe. Le radical représente la racine du mot : c’est le pharma (du grec pharmakôn signifiant à la fois le remède et le poison) de la pharmacie ou de la pharmacologie.

Le préfixe se place devant le mot, et le suffixe derrière, et en modifie le sens : a-mnésie, laryn-gite.
Les préfixes peuvent signifier l’absence ou la privation (amnésie, anémie, ablation, insomnie) ; le nombre (une femme nullipare, primipare ou multipare) ; le lieu (antéversion pour devant, rétropulsion pour derrière, hypogastre pour dessous, péricardite pour autour) mais encore la quantité (poly- pour beaucoup, olig- pour peu), la fréquence (tachy- pour rapide, brady- pour lent, spanio- pour rare), la ressemblance (auto-, homo-, hétéro-), le fonctionnement (dys-, hyper-, hypo-).

Du côté des suffixes, citons : -algie (qui désigne la douleur comme dans lombalgie), -ose (qui réfère à une dégénérescence comme dans arthrose), -rrhée (qui se rapporte à un écoulement comme dans aménorrhée, doté également d’un « a » privatif), -tomie (qui concerne l’incision comme dans gastrotomie), etc. Ainsi le radical histo- associé au suffixe –logie donne l’histologie, l’étude des tissus.

Métaphores…

Certains mots ont une histoire très riche, comme ces termes médicaux de l’antiquité grecque issus d’images. Saviez-vous que l’on doit le terme « coccyx » au kokkux grec, qui n’est autre que le coucou. Pour les Grecs, le coccyx faisait partie du sacrum. Ils ont vu une ressemblance entre l’os et le bec de l’oiseau.

D’autres termes encore ont vogué du gréco-latin jusqu’au français, en passant par le gaulois, le francique et divers idiomes. Beaucoup de mots du français populaire viennent ainsi du latin des légionnaires, c’est à dire de l’argot. Alors que le latin désignait la tête par caput (que l’on retrouve dans capitale, capitaine ou encore chapitre), les légionnaires de Jules César utilisaient l’image d’un tesson, testa, qui a donné notre « tête ».

… et néologismes

Le cerebellum, qui en latin signifie « petit cerveau » n’est autre que le cervelet et le diminutif de cerebrum. En latin classique, il peut être traduit par « petite tête » mais en anatomie, il s’agit d’un néolatin à usage médical : le cervelet. Au cours des siècles, les termes médicaux ont beaucoup évolué, empruntant aux langues antiques afin de créer une langue savante.

Avec les premiers mots, on en a fabriqué d’autres donnant lieu à un grec latinisé et autre néolatin. À partir du XIXe siècle, on a même fabriqué des mots nouveaux avec des racines, des préfixes et des suffixes grecs. Ces néologismes désignent des concepts que les Anciens eux-mêmes ignoraient. Le vocabulaire scientifique a été colonisé par ce nouveau grec et ce latin. De ce fait, cette création lexicale repose sur de faux mots antiques mais leur étymologie est correcte. Il faut parfois une bonne culture hellénique et latine pour en retrouver l’étymologie.

Les langues antiques ont transmis au vocabulaire médical des racines ou des mots. Ils sont arrivés dans le vocabulaire français soit par une étymologie populaire (langue parlée), soit par une étymologie savante (langue écrite). La maïeutique est un mot célèbre car c’est la méthode d’enseignement de Socrate qui, par le dialogue, faisait accoucher les esprits et faisait trouver à son interlocuteur la vérité par lui-même. Savoir que la femme qui présidait l’accouchement était nommée maïa et que le grec maieutikê signifie « l’art d’accoucher quelqu’un » est toujours intéressant…

Connaître cette étymologie peut être salvateur en traduction car cela peut permettre une retranscription plus précise dans la langue cible, respectant un haut standard de qualité. C’est en tout cas un atout certain en particulier dans la traduction médicale et dans la traduction scientifique. Pour le traducteur médical ou scientifique, se doter d’une formation en latin et/ou en grec ancien sera une vraie force différenciatrice dans un CV !

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